L'histoire
que vous allez à présent découvrir, bien qu'elle ne date pas d'hier, est véridique…
Le petit garçon que j'étais avait sept ans ; il vivait à Metz, place du marché
(en vérité, 11 place de la Cathédrale ou 2 rue Paul Besançon, à l'emplacement
d'un actuel cybercafé). Ce gamin de la ville allait en classe à l'école Notre-Dame
des garçons, rue Dupont des Loges, et n'avait d'autre envie, l'école terminée,
que d'aller jouer dans le quartier avec ses copains !
Le plus souvent, c'était au quartier des Roches, Place de Chambre, où les
immeubles détruits, qui bordaient la Moselle, n'étaient pas encore reconstruits
vers les années 56… Je me rappelle par exemple qu'en 1954, nous faisions du
patin sur cette rivière, où n'existait pas encore la digue de la Pucelle !
Nous rêvions d'aventures, de cabanes et d'exploits… Nous jouions aux indiens
et aux cow-boys !
L'un de mes loisirs favoris était d'aller, à proximité de la rue d'Estrées,
regarder les sculpteurs, qui rénovaient les statues et les gargouilles de
notre belle cathédrale. Ces compagnons étaient très amusés de voir des gosses
du quartier s'intéresser à eux, et, bien que ce fut interdit, ils nous laissaient
vaquer dans ces lieux, au-delà de la palissade qui l'encerclait, qu'il était
théoriquement «interdit au public» de franchir… J'y récupérais des morceaux
de cette pierre au ton si chaud, et qui se travaillait si bien, pour en faire
des couteaux et des haches, des tomahawks, comme on disait : on les frottait
longuement contre une autre pierre sur ces deux gros blocs qui encadraient
l'entrée de la place du marché, afin de les user, de leur faire prendre une
forme ronde ou aiguisée, si légère, si belle à regarder !
Et j'en ai cassé, de ces pierres , en voulant y arriver ! C'est ainsi que
j'ai pris conscience que cette cathédrale était fragile en vérité ! C'est
pourquoi j'étais
plein d'admiration envers tous ces gens qui arrivaient à sculpter ses pierres
avec un marteau et un burin ! Ils ciselaient la pierre, ils en faisaient de
la dentelle !
Un jour, j'ai même participé à ce travail délicat : Pierre, le compagnon,
se livrait à la restauration d'un chien à gueule de dragon. Cela faisait plusieurs
mois qu'il travaillait dessus, et son oeuvre était presque terminée, quand
il m'appela, me mit un marteau dans la main, et m'encouragea à faire une attaque
dirigée sur la pierre dessinée… Jamais, de ma vie jamais je n'ai eu aussi
peur de tout casser : j'ai beaucoup tremblé, ne m'apercevant même pas que
c'était lui, qui, en réalité, tenait et le marteau et le ciseau à pierre,
et que je ne faisais donc qu'accompagner son mouvement ! Là, sous mes yeux,
« naquit » ce chien cerbère, qui un jour, une fois achevé, s'est envolé,
là haut, sur le toit de la Cathédrale, près de l'archange en or, auprès duquel
il monte aujourd'hui la garde !
Je l'ai regardé s'élever, hissé lentement, avec une grande d'émotion, car
il y avait un peu de moi, de mon enfance qui s'élevait… Pourvu qu'il ne tombe
pas !… C'était déjà arrivé, par le passé !
J'en avais oublié l'heure, et ma mère me cherchait et m'appelait, tout comme
ma petite soeur, qui m'appelait :
« Roro ! » « Roro ! », toute fière de pouvoir enfin prononcer
les «r» ( auparavant, elle me nommait « gogo », « gogo les mouches
à miel » - mais ça, c'est une autre histoire, encore plus ancienne !
)
La palissade est restée longtemps en place… Puis, on l'a enlevée : les travaux
étaient terminés, de ce côté là ! La cathédrale, dont toutes les pierres de
cette façade ont été nettoyées, semble être neuve… Le chien dont j'ai participé
à la fabrication existe bien : on le voit, de la place d'armes, à proximité
de l'archange ! Je l'ai depuis revu de tout près, puisqu'à présent, on peut
monter visiter la tour de la « Mutte » et de la « Demoiselle »…
ce qu' on ne pouvait faire jadis , tout étant en chantier !
J'y ai revu la bête, assise sur son derrière, qui, contrairement aux gargouilles
aux cous allongés qui crachent l'eau tombée du ciel loin de l'ange sacré,
regarde au loin, au-delà de la ville, vers l'île saint Symphorien, tel Cerbère
qui gardait l'entrée des enfers.