Il est un passage que nous prenons souvent, nous, les enfants, pour aller de la rue Ambroise Thomas à la rue au blé, pour diverses raisons ! (la rue au blé est le siège de ce que l'on appelle « la goutte de lait », le centre de vaccinations et autres administrations de la santé de la ville.)

Il faut bien l'avouer, cette imprimerie au fond de la cour est très attirante : on y trouve des coupes de papiers multicolores, des bottes qui me rappellent un peu les bottes de foin des granges de Bassompierre, dans lesquelles j'aime à me jeter, lors de mes vacances !

Un jour, patatras, on nous avait muré ce raccourci, avec l'intention évidente de nous barrer le passage ! Mais nous, futés comme on peut l'être à nos âges, nous avons trouvé la parade : si le chemin était bouché, on pouvait, en prenant après le porche, juste derrière trois marches d'escalier, emprunter un couloir qui avait une porte qui donnait derrière ce mur empêchant le passage !

Avant de la franchir, il y avait une autre porte, qui, elle, menait aux caves de l'immeuble... Les enfants sont curieux, toujours aux aguets, et pas les derniers à chercher à comprendre où mènent les couloirs inconnus…

Une expédition fut donc décidée, avec Alain, Josiane et Michel !
Alain, c'est mon copain, le Gaspard de la rue Blondel, Michel et sa sœur Josiane, ce sont mes petits voisins de palier !

Notre première incursion dans cette cave nous a laissé une fâcheuse impression : bien que dotée de l'électricité, cette cave l'est aussi d'une minuterie, et paf ! Au bout d'un moment, on se retrouve dans le noir, avec toutes les émotions que celui-ci nous donne - avouons-le aujourd'hui : l'angoisse et la peur, cette sensation d'être enterrés vivants, de ne plus retrouver son chemin ! Surtout quand on se cogne partout ! Ouf, nous sommes quand même arrivés à trouver la sortie ! Mais comme notre petit cœur battait !

Sitôt sortis, nos peurs oubliées, il fallait envisager une solution, pour nous éclairer ! Nous décidâmes de faire une autre incursion à l'aide de cierges que nous allions chercher dans les caisses à déchets des cierges de la cathédrale ! Avec cinq ou six morceaux de bougie brûlés, un tube d'aspirine, un morceau de corde huilée, nous recoulions, en secret, une solide chandelle...

Cette deuxième fois, nous nous fîmes attraper par un locataire d'une cave qui remontait de la sienne : nous dûmes nous expliquer avec nos parents, sur la provenance des bougies, et nous nous fîmes proprement fesser !

Nous avons donc oublié cette cave un certain temps, mais, vous savez ce que sont les enfants : « Eisenkopf », comme disait ma mère, aujourd'hui je dirais : tête de chien, comme un messin ! Bref, on avait déjà du caractère !

Une autre expédition fut donc décidée... cette fois-ci, « avec seulement des hommes » !..

Il en a fallu faire des commissions, pour parvenir à acheter nos deux lampes torches ! Il a même fallu que j'aille vendre des centaines de billets pour la tombola de la paroisse Notre-Dame, afin d'acheter la mienne, place Saint-Jacques, pour ne pas me faire dénoncer !

Enfin, le jour décidé arriva, et nous nous sommes enfoncés vers cet inconnu qui nous fascinait tant. Après dix minutes de marche, plus de caves, mais le chemin continuait ! Il descendait même, tel un colimaçon, en cercle, tout en s'enfonçant ! A un certain moment, le sol devint vraiment mou, rendant nos pas incertains : nous avions un peu peur que le sol s'écroulât... mais nous étions des hommes, n'est-ce pas..?

Alors, nous avons continué… Au bout de quelque temps, le chemin se divisait en deux : une allée s'enfonçait vers la droite, l'autre allait vers la gauche ! Cette fois là, nous avons pris la voie de gauche, car, malgré nos prévisions, nos piles commençaient à être fatiguées ; nous poursuivîmes encore de longues minutes, avant de reconnaître, à nouveau, des caves... Et il était temps : nos lampes avaient rendu leur âme !

Quand on est dans une cave, pour revoir le jour, il suffit de remonter ! C'est ce que nous fîmes, avant d'être arrêtés, car tout était fermé : nulle porte de sortie, sinon une, derrière laquelle on entendait du bruit ! De concert, on décida d'arrêter là l'expérience : cela suffisait, pour cette fois en tout cas !

Nous résolûmes de nous montrer. Nous frappâmes donc à cette porte, qui s'ouvrit : un visage coiffé d'une coiffe blanche apparût, qui nous regarda d'un air ébahi : « Ben, mes drôles, d'oussque vous sortez, comme ça, vous ? »
Alain, qui était le plus grand, expliqua à ce brave homme qui était pâtissier, d'où nous venions, ce qui avait motivé notre curiosité…

Heureusement, il fut fort intéressé par le récit de notre périple !
Il nous permit de regagner la sortie, vers le haut, vers la rue des Clercs, vers la lumière !.. Avec, dans chaque main, deux gros éclairs au chocolat !..

Nous étions presque place de la République : quelle expédition ! Il nous restait à prendre le passage vers la droite, le plus angoissant, celui qui s'enfonçait... mais ce serait pour une autre fois ! Car ce jour, nous avions eu notre compte de sensations et d'émotions !