Un enfant sur les bras, qui ne sait pas quoi faire de ses dix doigts, toujours à courir vers le quartier des Roches, parmi les décombres des immeubles blessés à mort par les bombardements de la libération, cela cause des soucis aux parents qui préfèreraient savoir leur progéniture loin des dangers potentiels de la digue de la Pucelle : aussi suis-je souvent envoyé, pendant le temps des congés scolaires à Bassompierre, dans le Pays Haut, terre des ancêtres, domicile du grand-père et de la famille de l'oncle paternel !

Ainsi, pour les vacances de Pâques, je traverse la rue des Clercs en compagnie de ma mère, qui vient m'accompagner au bus jusqu'à la Place de la République, siège des « Rapides de Lorraine » qui desservent tout le département et ceux qui l'entourent !

Ma mère porte la lourde valise emplie à l'aller des trésors destinés à la fratrie paternelle, récolte de mois de dégustations gratuites allouées à tous les employés de la S.E.I.T.A. et qui contiendra à mon retour des trésors campagnards, comme les bonnes saucisses fumées dans la grande cheminée bassompierroise.

Le voyage est long, pour un enfant de huit ans qui voyage seul, même s'il voit défiler avec plaisir les villages et les villes traversées, dont les noms en « ange » rappellent le paradis originel !
L'attention se fait plus vive à l'entrée de Hayange, dont les hauts fourneaux crachent les étincelles de l'acier en fusion vers les pieds de la vierge qui domine les hauteurs, tels des Graoullys impuissants face à la puissance de la mère du Bon Dieu !
Puis, à Boulange, ville maternelle, je guette la rangée des sapins qui couvrent « la colline des Wéber », laquelle se découvre autour d'un tumulus où mon père m'a dit qu'il y avait certainement un ancien village enseveli : le terme du voyage approche. Encore quelques kilomètres et je descendrai à l'arrêt où viendra m'accueillir mon cousin Gilbert, plus vieux que moi d'une année, lequel attend avec impatience ma venue, signe que les vacances arrivent, et que les jeux vont pouvoir commencer !

Nous faisons partie de ces enfants embauchés pour « tarteller » ou
« créceller », afin de remplacer la « voix » des cloches muettes, parce que, comme on dit, « parties à Rome », et dont le carillon ne sera rendu que le jour de Pâques !
Tôt levés, les enfants du village traversent la campagne jusqu'aux lieux les plus éloignés pour annoncer aux dormeurs et aux
« tôt levés » le temps de l'angélus du matin, « les mâtines », « le premier coup », le deuxième, puis le troisième, jusqu'à l'angélus du soir…Travail éreintant et fatiguant, qui dure toute une semaine, pour une bande d'enfants, qui, entre deux coups, traîne dans la cuisine de la ferme, autour de la veille table, bousculant le banc et les chaises, dérangeant le grand-père qui ne retrouvera le calme qu'en nous racontant des histoires qu'il a d'ailleurs lui-même entendues raconter par son père ou son grand-père !

« Dis, pépé, raconte-nous la guerre de 14 : comment c'était ? Tu étais du côté des Français ? »

Une chose de laquelle il s'était toujours refusé à parler, la seule évocation du sujet amenant dans ses yeux bleus des buées qui ressemblaient très vite à des larmes… De ses lèvres tombait toujours le même message : « ce n'est pas beau, la guerre, vous savez, les enfants : ça ne mérite pas qu'on en parle ! »
Et nous restions, nous, les enfants, avec nos frustrations, nos questions sans réponses..

« Raconte-nous une autre histoire, alors !

- Tiens, les gamins, puisque vous aimez tant les histoires de guerre, je m'en vas vous en raconter une, une vraie, qui m'est arrivée !
Nous venions juste de rentrer après l'exode de la deuxième guerre, et c'était un peu avant d'être définitivement expulsés vers Riom, parce que nous avions choisi de demeurer français à part entière : un obus avait atteint le toit et le mur de la remise, et je m'étais donc rendu avec ton père, Roro, vers l'ancienne carrière de pierre à chaux, afin de trouver au plus vite un remède à nos maux, afin de protéger nos herses et nos charrues de la pluie qui n'allait pas tarder à tomber par le trou béant de la couverture.
Je discutais de la chose et du prix avec l'ouvrier qui m'avait invité à entrer chez lui, quand mon attention fut attirée par ton père sur les objets étranges qui trônaient depuis 1936 sur le buffet de sa salle à manger : des vases en terre cuites et des armes blanches aux formes étranges, anciennes, assurément !
Ton père a réussi à persuader l'ouvrier de lui vendre ces choses à bon prix ; mais lui, il en connaissait la véritable valeur !
C'est ainsi que le vase « Guttrolf » est entré dans la famille !

- C'est quoi, le vase de Guttrolf, pépé ?

- On dit « de Guttrolf », mais nous ne sommes pas en Bavière : c'est en fait un vase « de Bassompierre » qui, comme le disent les archéologues, est d'origine mérovingienne, en verre vert clair qui ressemble un peu par sa forme à une cafetière italienne : sa partie inférieure est comme une sphère dont le fond est aplati, qui est reliée à la partie haute par une sorte d'entonnoir, de goulot composé de cinq canaux ; la partie haute est très évasée, comme un ciboire ou un calice très évasé dont la lèvre est décorée de filets de verre.

- Et il est où, le vase, pépé ?

- Les Allemands nous l'ont volé, quand nous avons été expulsés, et le vase s'est retrouvé dans les mains de monsieur Emile Delort, à qui on l'avait confié pour qu'il puisse l'étudier…au grand dam de ton père, Roro, qui voulait qu'il reste ici ! Le vase a ensuite « voyagé », comme on dit : il s'est retrouvé dans un musée de Sarrebourg, à un moment, et les gens de Metz ont eu du mal à le récupérer : ça a créé des polémiques, parce qu'il était unique, ce vase !

Ca me fait d'ailleurs penser à tous les autres trésors dont on dépouille notre département, comme la statue de Charlemagne à cheval, qu'on vient d'être obligés de donner aux Parisiens, sous prétexte qu'il s'agissait d'un objet à valeur nationale, ou comme cet autre, celtique, qui se retrouve au British Muséum, sous prétexte que c'est un vase celtique… On nous dépouille de nos valeurs les enfants : des trésors dorment sous nos pieds et des antiquaires nous les prennent ! Dire qu'il suffit de creuser !...»

Le temps est passé, depuis… Avec mon cousin, nous sommes allés en vain creuser et, comme dit le poète, « prendre de la peine » vers la vieille carrière, nous n'avons jamais rien trouvé d'autre, sauf quelques trésors de champignons...
Si ! Un jour, en nous promenant, nous sommes tombés avec notre copain Patrick sur les ruines abandonnées du château du marquis, en pleine forêt : des ruines qui n'ont jamais été fouillées, des ruines qui restent abandonnées, et continuent à nous faire rêver !
Et puis un jour, beaucoup plus tard, notre copain nous a téléphoné, parce qu'en ouvrant un chantier destiné à la future autoroute sur des terres qui lui appartenaient, les ouvriers avaient retrouvé un trésor en monnaies gauloises, dont il s'était empressé de se dessaisir au profit des archéologues !

Vraiment, dans ce pays de Moselle, il est des trésors qui dorment sous nos pieds…. Il faut qu'ils restent à la Moselle !





Le Vase de Bassompierre

Photo Musées de Metz

 

 

Une bande de joyeux crécelleurs d'un village mosellan dans les années cinquante

Photo Republicain-Lorrain.fr

 

Les premiers
hauts-fourneaux apparaissent au loin


Photo En-Moselle.com