J'ai
un bon copain : le Suisse de la cathédrale..
Au début, il me faisait un peu peur, avec son habit brillant, et surtout sa
longue hallebarde ; peu à peu, j'ai compris qu'il n'était qu'un employé, qui
n'avait plus rien de commun avec les vrais guerriers qui officiaient sous
Charles VIII et François 1er, avec ces Suisses qui se mirent au service de
la France, et combattirent sous ces deux princes, dans les expéditions qu'ils
firent pour conquérir le Milanais !
Les Suisses étaient bons soldats, mais n'entendaient verser leur sang que
contre espèces sonnantes et trébuchantes, et refusaient de le faire gratuitement
!
Ainsi, en 1522, n'ayant pas été payés par le maréchal de Lautrec, 10.000 d'entre
eux quittèrent l'Italie, ce qui contribua fort à la perte du milanais par
François 1er !
Malgré cette rupture, les rois de France continuèrent à faire appel à leurs
services, jusqu'au règne de Louis XVI, afin qu'ils officient en tant que gardes
du corps ou gardes du palais. Devenus vieux, ils continuaient à garder les
immeubles des évêchés.
Aujourd'hui, il n'en reste plus que quelques-uns, qu'on emploie lors de grandes
cérémonies !
Mais, dans mon jeune âge, ils officiaient encore…
Donc, mon copain le Suisse, qui s'ennuie un peu, quand il n'est pas prévu
de messes, sort assez souvent prendre l'air dehors et, dois-je le dire, s'installer,
débarrassé de son costume et de ses ustensiles, à la terrasse de " chez Mathis
", boire une bière ou deux, ou trois…
Lorsqu'il a bien calmé la douleur que toute la poussière a entassé dans sa
gorge, il nous paie souvent un bretzel, à nous les enfants, car il a envie
de parler ; il nous raconte de belles histoires…
Celle qu'il connaît le mieux, c'est celle du Graoully, cette bête immonde
qui terrorisait les Messins, à l'époque des gallo-romains, et en dévorait
plusieurs par jour dans son repaire souterrain des arènes, où elle avait élu
domicile !
Le monstre avait même eu trois petits - car c'était une femelle - petits qui
s'appelaient : " jocus ", " panis ", " vinum ".(jeu, pain, vin).
Je n'ai compris que plus tard que le dragon était en fait le culte que les
Médiomatriques vouaient à Isis, la déesse égyptienne, et à Mithra, le dieu
venu de Perse !
Cela, bien sûr, ne pouvait satisfaire l'évêque de Rome, qui dépêcha saint
Clément pour remettre un peu d'ordre spirituel dans la vie des habitants de
Médiomatricum !
Le saint se mit en route afin de résoudre le problème, mais il en rencontra
beaucoup, en routes, et le chemin lui sembla bien long !
Lorsque, enfin, il aperçut la cité messine, il était si fatigué qu'il tomba
à genoux pour remercier Dieu d'avoir guidé ses pas ; cela eut lieu à Gorze,
au lieu-dit " croix de saint Clément " !
On peut encore y voir la pierre où il s'est agenouillé et a prié : à mon avis,
il a prié longtemps, parce que la pierre porte, encore aujourd'hui, la marque
de ses genoux !
Après cela, le saint s'est mis au travail : il a même bâti une chapelle dans
le sous-sol des arènes, afin d'être plus proche du lieu de débauche, et de
s'opposer aux sacrifices humains qu'on y faisait, pour les faire remplacer
par des cérémonies bien moins païennes, basées sur un autre système que celui
alors en vigueur : il apprit aux Messins à mettre de l'eau dans leur vin ;
on dit même qu'il noya Graoully et ses petits en Seille…
Doit-on comprendre qu'il fit se déplacer les jeux du cirque en " champ de
Seille " ?
En tout cas, c'est à partir de ce moment là que les rassemblements messins
se firent de ce côté-là ; aujourd'hui encore, la foire aux bestiaux a lieu
à cet endroit ! Cet endroit où, lors de grandes foires passées, l'on vendait
des draps, des peaux, des habits, au milieu de saltimbanques, cracheurs de
feu, et vendeurs de bétails !
C'est
à cette époque aussi, d'ailleurs, que l'on commença à planter les vignes,
du côté de saint Vincent, qui fournissaient un vin bien moins alcoolisé que
les vins italiens, le célèbre vin de Metz, ce vin gris, devenu aujourd'hui
vin de Toul, mais qui est toujours vin de Moselle !
Un vin qui a souvent calmé la soif des révérends…et des Suisses !